Portrait de l’agoniste: Gombrowicz **

Jeu, stratégie, passion (de l’entre-deux)

 

par Dominique Garand
Université du Québec à Montréal

 

Je me crée par l’œuvre. D’abord je combattrai,
et après j’apprendrai ce que je suis. (T, p. 75)

Pour bien cerner l’agonistique de Gombrowicz, il faut d’abord se dégager d’un certain nombre de lieux communs légués par la grande tradition pamphlétaire du dix-neuvième siècle. Lorsqu’il est question d’«écrivains de combat», à qui pensons-nous en effet? À Bloy, à Péguy, à Bernanos, à Vallès, à Courier… L’existentialisme, il est vrai, Sartre et Camus en tête, a considérablement renouvelé l’ethos du combattant en l’articulant sur des positions philosophiques mieux définies. Aux imprécations contre ces scandales permanents que sont la Tyrannie, la Corruption, l’Injustice et la Décadence (les majuscules sont de mise dans ce discours qui tire son effet d’une essentialisation et d’une personnification des forces du Mal) a succédé, chez les existentialistes, la critique matérialiste des pouvoirs idéologiques qui abrutissent l’être humain et créent des inégalités sociales. Il reste que chez les «réactionnaires» comme chez les «progressistes» prévaut l’exhortation, en vue d’un monde meilleur, à une transformation de l’agir humain et des valeurs qui soutiennent l’organisation sociale.

Les questions culturelles sont aussi à l’ordre du jour puisqu’à travers elles se mesure la situation morale et intellectuelle d’une communauté. Cela donne lieu, du côté des pamphlétaires d’arrière-garde, à des appels à la conversion qui font suite à la dénonciation en règle de la misère spirituelle et du mensonge où sont tombés les artistes qui ont succombé aux erreurs du siècle. Chez les existentialistes, par contre, l’accent est mis sur la liberté et l’on s’en prend aux produits de l’idéologie bourgeoise pour mettre en valeur les œuvres qui subvertissent cette dernière, ou qui tracent la voie d’une émancipation, d’une sortie de l’aliénation. Dans ce tableau sommaire, il faut aussi ménager une place au surréalisme qui a développé un style polémique particulier qui conjugue de manière provocatrice le ludique et la violence exacerbée, l’élitisme et la pensée révolutionnaire, la liberté créatrice et le dogmatisme esthétique.

Quoi qu’il en soit, la posture d’un Léon Bloy, dans sa solitude et sa marginalité, n’est pas complètement étrangère à celle de Gombrowicz, bien que la conviction affichée par Bloy d’être soutenu dans son combat par le Tout-Puissant demeure totalement inaccessible à l’écrivain polonais. La courte analyse qu’en fait l’écrivain (voir J2, p. 75) débouche sur une ambivalence qui mérite d’être soulignée: «À quoi me sert ce Léon Bloy? Et pourtant…» L’intellectuel médiéval, à qui ressemble Bloy, «était alors soumis à une pensée collective (celle de l’Église), et seul un homme simple pensait de son propre chef, empiriquement, sans dogme». «Aujourd’hui, ajoute Gombrowicz, c’est le contraire…»: l’intellectuel fait figure d’exception, cherche à se dégager des consensus et à pratiquer la libre pensée, sauf l’intellectuel communiste qui sacrifie son individualité à la réussite de l’effort collectif. Or, dans ce dernier contexte, celui que connaît l’intellectuel polonais, l’esprit médiéval d’un Bloy, de reposer sur une Référence désormais vidée de tout pouvoir social, devient marginal et contestataire. L’«intranquillité» de Gombrowicz dans cette situation est celle d’un Bloy qui aurait à définir son combat sans l’appui du Tout-Puissant. Où donc, dès lors, puiser les forces nécessaires et, surtout, la conviction permettant de persévérer dans la résistance?

Si sa conception du monde et de l’humain le rapproche davantage de l’existentialisme que de Bloy, Gombrowicz a tout de même adopté une posture qui tranche avec celle des maîtres à penser de ce courant intellectuel. Il faut lire à ce sujet les critiques qu’il adresse à Sartre et à Camus dans plusieurs passages de son Journal. Du Camus de L’homme révolté, par exemple, il dit que sa pensée, trop parfaite, aboutissement de siècles d’abstractions, ne parvient plus à exprimer l’homme concret, ce que traduit bien son écriture désincarnée à force d’effacement de toutes ses aspérités. Cette distante proximité de Gombrowicz à l’égard de l’existentialisme — et plus tard, du structuralisme — a donné lieu à du malentendu. Il me semble qu’on ne peut le dépasser qu’en établissant une distinction entre prise de position et prise de posture.

La prise de position se traduit dans l’énoncé d’un discours, dans l’organisation de ses représentations et dans la fabrication des concepts qui lui assurent sa cohérence. Les prises de position définissent l’univers référentiel au sein duquel l’énonciateur prétend intervenir, exercer son action. Prendre position, c’est se situer verbalement par rapport aux objets du monde et aux autres, c’est établir nommément des distinctions, des hiérarchies, des jugements à partir de valeurs qui peuvent être implicites ou explicites. Il s’agit d’une activité par laquelle le sujet dit: voici ce que je pense, ce que je crois, ce que selon moi nous devrions faire. Activité, donc, qui appelle à une action future, qui en appelle aussi à la bonne volonté des autres, qui leur propose des paramètres pour l’exercice d’une «saine raison». Toutefois, la prise de position est toujours accompagnée en sous-main d’un acte de discours qui, loin d’être différé dans un travail de construction conceptuel, est effectif dès l’instant de la prise de parole à travers l’énonciation. Telle est la prise de posture: à travers elle se dessine une attitude, un style, une manière d’entrer en contact avec l’autre, de rythmer l’énoncé, d’aborder les problèmes, d’exploiter les ressources matérielles (et non conceptuelles ou figuratives) du langage. La posture traduit la volonté, le désir, la pulsion, mais en deçà d’un énoncé qui dirait: je veux ou je désire. Elle est ce qui dans le langage est le plus près de la corporalité. La posture est éminemment pragmatique, performative et dialogique, elle est l’indice d’oralité du discours, sa pensée intrinsèque, mouvante parce que relationnelle et se définissant au gré des situations.

Pour illustrer cette distinction, prenons l’exemple d’un discours qui, inspiré de la psychanalyse, soutiendrait que le sujet est fondamentalement divisé, ou clivé. Tout va bien sur le plan conceptuel jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que l’énonciateur de cette thèse la présente d’une manière particulièrement dogmatique ou autoritaire, à partir d’une posture héritée de la tradition universitaire, posture qui, contrairement à ce qui est dit, met en scène un sujet sans faille, pleinement assuré de l’autorité que lui confère son statut social et, donc, de la légitimité de sa prise de parole. La posture est un positionnement en acte, elle traduit sans la médiation d’aveux ou de déclarations d’intention la façon dont le sujet envisage son rapport au langage et à l’autre. Tout au long de sa vie, Gombrowicz s’est préoccupé de cette dimension du discours si facilement négligée au profit de l’énoncé. C’est pourquoi, par exemple, sa dénonciation de la bêtise ne passe généralement pas par une évaluation de la rationalité d’une proposition, mais plutôt par une perception de l’effet qu’elle peut avoir sur le corps et l’esprit du sujet. Est bête ce qui abêtit, ce qui obscurcit et alourdit; plus précisément encore, est bête toute prise de position contredite pragmatiquement par la posture, toute proposition donc qui se fonde sur un déni de la situation réelle du locuteur.

Voilà sans doute qui explique pourquoi l’agonistique de Gombrowicz ne comporte aucune forme de militantisme en vue d’un idéal à atteindre ou d’une vérité à faire accepter. Déplorer un manque, une tare quelconque, un travers de la société, se scandaliser d’un état de dégradation qui se généralise, en appeler à une sorte de solidarité dans la déploration, forger un programme de restauration des mœurs, des valeurs et des institutions, miser sur un idéal face auquel le présent apparaît dans toute sa médiocrité, voilà bien l’ordinaire du pamphlétaire. Gombrowicz, lui, n’attend rien de la société, il n’espère aucune mesure qui viendrait combler le manque ou réparer les dégâts, son athéisme, comme le soutient Jean-Pierre Salgas, est généralisé1, c’est-à-dire qu’il déborde la seule sphère de la foi religieuse pour s’appliquer aussi aux croyances laïcisées.

Les stratégies agoniques

L’agonistique étant un trope dérivé de l’idée de combat, il est inévitable qu’intervienne dans notre réflexion la notion de stratégie. Elle est d’ailleurs revendiquée par un certain nombre de critiques de Gombrowicz2. La notion de stratégie a aussi beaucoup retenu les sociologues de l’institution littéraire, au premier chef Pierre Bourdieu3. Ce dernier présente le champ littéraire comme un système divisé en différentes sphères (grande production, art bourgeois, production restreinte) qui se construisent l’une par rapport à l’autre tout en s’excluant mutuellement. Dans ce système littéraire règne une logique de concurrence qui se traduit par la mise en application de stratégies de distinction. Bourdieu décrit dans le détail toutes les étapes au cours desquelles les différentes médiations entre l’auteur et le public (les agents du système) voient à la diffusion, à la visibilité, à la légitimation, à la reconnaissance et à la consécration des textes considérés ici comme «produits». Dans ce système réglé par des habitus (des manières codifiées de se comporter, d’agir, de parler et de penser à partir desquelles on peut reconnaître si un individu est habilité à œuvrer comme agent actif du système), des fonctions bien délimitées prescrivent aux individus qui en ont la charge des prises de position qui assurent le bon fonctionnement du système. Dans ce jeu de rôles, chacun est contraint de bien tenir son rang. Ainsi, il est mal vu qu’un écrivain commente ses œuvres (cette tâche revient au critique) ou qu’il s’immisce dans les mécanismes de diffusion et de promotion. Or, Gombrowicz présente cette particularité singulière d’avoir enfreint un certain nombre de ces règles, non pas qu’il ait occupé de manière officielle plusieurs des rôles disponibles sur l’échiquier de l’institution littéraire4; le brouillage chez lui est plus complexe et il prend place au cœur même de sa démarche d’écriture.

J.-P. Salgas a avancé l’idée étonnante mais stimulante d’une conjonction, réalisée par Gombrowicz, entre la critique institutionnelle d’un Bourdieu (qui opère une réduction substantielle des prétentions de l’écrivain à s’ériger comme différence) et la «théorie des exceptions» de Sollers (qui lui-même tente de dépasser l’antinomie entre l’écriture conçue comme expérience du hors-temps et l’inévitable immersion du corps dans le cirque médiatique)5. L’entreprise très périlleuse de ce dernier a effectivement été menée par Gombrowicz, mais d’une manière qui diffère de la méthode sollersienne (dont on établira un jour si elle a réussi). Selon la thèse du présent essai, c’est la posture agonique qui permet à Gombrowicz d’élaborer une stratégie qui, tout en intégrant une perspective critique à la Bourdieu, en déjoue néanmoins le caractère réducteur, voire moralisateur, sourd à ce qui dans l’art se signale comme expérience intérieure. Contrairement à Bourdieu, Gombrowicz ne s’accorde pas une position surplomblante (disons: scientifique) par rapport aux phénomènes intersubjectifs qu’il étudie. Bourdieu, en effet, n’a que très tardivement osé aborder la question de sa propre prise de parole, de ses propres stratégies de distinction. Cette autoréflexivité est au contraire inscrite depuis le début dans la pratique de Gombrowicz. Dans son agôn contre les systèmes fermés (l’école, la nation, l’institution littéraire, la famille, les classes sociales, les idéologies, etc.) et les discours qui les entretiennent, Gombrowicz a très tôt compris qu’il devait en premier lieu interroger le lieu et les conditions à partir desquels il produisait son propre discours de fuite ou de subversion, ce qui équivalait à interroger la place qu’il occupait dans le monde.

Un livre comme Ferdydurke radicalise d’une manière particulièrement dramatique — loufoque également — l’autoréflexivité propre à la littérature moderne. Mais là où la plupart des écrivains se sont complu à des jeux formels paradoxaux qui, s’ils perturbaient effectivement les habitudes de lecture et aggravaient la fissure entre le langage, les représentations imaginaires et l’univers référentiel, n’en demeuraient pas moins inoffensifs quant à leurs répercussions sur la posture même de l’écrivain, Gombrowicz, lui, a pris le taureau par les cornes en livrant non seulement le «savoir» et le «langage» en pâture à ses jeux formels, mais lui-même en tant que sujet et en tant que membre de la communauté. Ce qui est vraiment subversif — au sens de ce qui provoque un déplacement ou un renversement des perspectives —, ce n’est pas tant l’autoréflexivité d’un sujet sur sa discipline que l’autoréflexivité au sujet des conditions matérielles et psychologiques qui permettent à ce sujet d’exercer sa discipline. Mais comment cela peut-il avoir lieu? Comme il n’existe pas de point de vue transcendant permettant, de l’extérieur, de critiquer notre pratique, dans laquelle nous baignons et qui détermine notre langage, il faut trouver une méthode permettant à l’altérité de se frayer un chemin dans la forêt compacte des habitus.

L’une de ces méthodes, signalée par J.-P. Salgas, est la multiplication des masques. Pour Gombrowicz, il n’existe aucune authenticité possible, sauf celle qui consiste à se libérer de la «gueule» et du «cucul», tâche infinie car nos relations avec les autres, la manière même que nous avons de concevoir notre identité, nous figent constamment dans des poses, des grimaces: «Gombrowicz n’est pas un utopiste, il sait que les gueules ont toujours existé et existeront toujours. Ce qu’il veut, c’est qu’elles ne soient pas imposées. Il milite pour le droit de chaque individu de se forger librement sa propre gueule. Il veut que ce masque, élaboré par les moyens individuels, corresponde aux besoins réels de chacun de nous6». Ainsi, le port du masque correspond-il chez Gombrowicz à un jeu théâtral (qu’il a pratiqué autant dans sa vie que dans son œuvre, les témoignages abondent à ce sujet) qui lui permet de prendre ses distances à l’endroit des formes sclérosées du moi et de faire éprouver, grâce à cet artifice même, le sentiment d’authenticité que procure la sortie momentanée des conventions, l’apparition de l’imprévu, de l’inédit, du non-encore-formé.

Comme on le voit, le jeu avec les masques tient lieu de stratégie, mais il importe de comprendre qu’il y a là beaucoup plus qu’un calcul opératoire en vue d’arriver à un certain résultat. Chez Gombrowicz, la stratégie émane d’un constat anthropologique: une fois écartée la référence à une loi transcendante qui régirait les rapports humains, le sujet ne peut envisager de champ d’action qu’au sein de l’«Église interhumaine». Est aussi impliquée une conception particulière de l’être: nullement fixable dans une identité, l’être ne se manifeste que dans un mouvement de désaisissement, d’évasion, ou encore dans l’inconfort de l’entre-deux, espace indéfini de relations dynamiques où s’altèrent les formes existantes. En définitive, c’est dans l’insistance d’une discordance que se fait entendre l’appel de l’être. Dans une analyse pénétrante de la «stratégie de Gombrowicz», Andrzej Kijowski a bien fait ressortir toute la place qu’occupe dans l’œuvre de l’écrivain la figure de l’individu «à part», «différent des autres7». Peut-on parler ici de «marginalité», comme le fait le discours sociologique? Pas forcément. Le sujet gombrowiczien semble ordinaire de prime abord, il est même souvent conventionnel, mais petit à petit se dessine ce qui chez lui le rend légèrement «à côté», «déplacé». Bien souvent d’ailleurs, il est un rien, une nullité qui, d’insister dans sa pitrerie, finit par fracturer les systèmes fermés: «La force est limitée, la faiblesse n’a pas de limites. C’est la stratégie de la guérilla — impossible d’être victorieux de la guérilla. Toutes les valeurs positives ont des limites: la raison, la dignité, la beauté, etc. Les valeurs négatives n’en ont pas. […] Ici, dans cette sphère de dégradation infinie (dans la zone “verte”), ici, dans cette forêt, dans cette enfance, dans cette réalité bête, hideuse, vile, “entre parenthèses” […], surgit le “Moi arbitraire”, disposant de l’arme absolue qu’est la vétille, le détail, le n’importe quoi: le doigt renverse les trônes8.» Dans d’autres circonstances, la stratégie vise à produire non
pas une fracture du système mais l’expulsion du sujet à force de saturation, comme si le système ne pouvait intégrer plus longuement une telle monstruosité: «Le “Moi” gombrowiczien, repoussé, non reconnu, non écouté, chassé (remarquez avec quelle obstination Gombrowicz a construit le mythe de son bannissement répété: banni de son milieu social, du milieu littéraire, de son pays dans l’émigration, de la littérature en marge de celle-ci) — ce “Moi” revient sous une forme méchante et bouffonne […], comme un élément de destruction, de critique9.» Nous verrons au fil des chapitres de ce livre comment s’est organisé chez Gombrowicz, à tous les niveaux, ce travail du négatif.

De l’idée d’entre-deux se dégage une troisième méthode de subversion des systèmes: le dialogue. Encore faut-il comprendre que le dialogue gombrowiczien a peu à voir avec le modèle dialogique, par exemple, d’un Habermas. La philosophie de la communication de ce dernier apparaît comme une longue ascèse en vue de refonder la raison en référence partagée, en Tiers équitable. Pour Gombrowicz, le dialogue est un combat et un jeu qui conduisent à l’épreuve de la finitude. Son objectif n’est pas de s’unir à l’autre dans le partage d’une vérité, mais bien de rencontrer, chez l’autre, ce qui en constitue l’altérité. Dans un essai très stimulant qui ne porte pas sur Gombrowicz mais le rappelle sans arrêt, François Flahault observe: «On ne conçoit pas les relations qu’on a avec les autres de la même manière lorsqu’on réfléchit sur ces relations à partir de l’expérience de la parole ou à partir des textes. Avec l’écriture, tout semble pouvoir s’arranger. L’écriture permet de ne pas avoir affaire directement aux autres, l’écriture exorcise les tensions interhumaines, elle permet de communiquer, mais en évitant le face-à-face10.» Gombrowicz écrit, bien entendu, mais il écrit de manière à se replacer comme sujet dans la logique orale du face à face. Parmi les écrivains modernes, il est sans doute celui qui a considéré le plus pragmatiquement les conséquences d’un fait pourtant accepté en théorie par plusieurs, que l’œuvre est créée autant par le lecteur que par l’écrivain. Il engage donc avec ce dernier un dialogue fait de provocations, de défis, de mises en garde; il combat son apathie, fustige sa paresse, pourfend ses prétentions au savoir, débusque ses compromissions, contrevient à ses conditionnements. Si le sens naît de l’interhumain, pourquoi n’aurait-il pas quelques exigences envers son interlocuteur, ne serait-ce que pour éviter d’être avalé par sa crétinerie? Le Journal regorge de polémiques avec des admirateurs, des critiques tout prompts à faire sa promotion et à lui donner une place de choix au panthéon des écrivains consacrés. Comprend-on la logique de telles sorties? Loin d’être motivées par un souci de contrôler la lecture de l’autre, ces attaques et les autocommentaires qu’elles engendrent en contrepartie sont des voies ouvertes vers le dialogue et vers une remarquable expérience de liberté. Elles obligent le lecteur à renouveler son langage critique, à réfléchir à son tour sur sa propre position dans le monde.

Partant de ces prémisses, je mettrai maintenant en relief l’un des aspects du processus de subversion gombrowiczien qui le distingue de la plupart des «écrivains de combat» — et aussi des écrivains «tout court». La pensée stratégique de Gombrowicz a comporté un certain nombre de risques, dont celui de mettre en scène, à travers ses masques, son corps propre. Que peut vouloir dire pour un écrivain l’«expérience du corps» et ce que j’appelais plus haut la «logique de l’oralité», lui qui agit avant tout à travers la médiation de l’imprimé, de l’objet livre? Précisément, il s’agit d’introduire dans toute cette mécanique impersonnelle de l’édition et de la diffusion, des traces d’une subjectivité en acte. L’écrivain et l’intellectuel produisent des univers signifiants sans beaucoup réfléchir, en général, au système qui permet à leurs écrits de trouver un public (ce que j’appelle ici «médiations»), système pourtant entretenu par des êtres humains soumis eux aussi à diverses pressions inconscientes dont il est ardu de circonscrire les tenants et aboutissants. J’essayerai de montrer comment Gombrowicz a opéré à l’égard des médiations une série de détournements stratégiques destinés à objectiver les déterminations qu’elles exercent sur la création, de manière à réintroduire au sein de ces médiations la logique orale du face à face, l’intersubjectivité du rapport entre l’écrivain et ses lecteurs. J’interrogerai donc la portée des «stratégies médiatiques» privilégiées par Gombrowicz pour faire entendre cette voix discordante, ou «intersticielle», interrogation qui m’amènera à considérer le sens qu’a pris la communauté dans son travail d’écrivain. La notion d’entre-deux désignera le tracé de cette brèche pour cerner un peu mieux cet insituable lieu de passage, de passion et de passation où se dissolvent et se recréent, chez Gombrowicz, la mémoire, l’écriture et l’identité. Je voudrais par là démontrer que l’utopie que représente pour l’écrivain la souveraineté de son dire, si elle ne peut être fondée en réalité — l’entre-deux ne pouvant devenir le siège d’un pouvoir —, est tout de même pour lui le non-lieu d’une expérience fondatrice sur le plan symbolique.

D’un tragique antipathétique

J’ai avancé plus haut que la posture agonique prenait en considération la position réelle occupée par le sujet. Cette position, si elle est sociale et historique, est avant tout physique, elle concerne les sensations du sujet, son expérience concrète du monde, les modalités de son contact avec l’environnement et avec les autres. Il est difficile, lorsqu’on aborde une telle question, de faire entendre qu’il ne s’agit pas de lire l’œuvre à travers la biographie de l’écrivain, comme si cette dernière constituait une explication certaine. J’inverserai donc la perspective en analysant comment certains événements de la vie de Gombrowicz ont répondu à son désir d’écriture (celle-ci répondant déjà à un appel de l’être). Du reste, parlant de Gombrowicz, il faudrait faire référence à des situations plutôt qu’à des événements.

On s’étonnera, en premier lieu, du détachement avec lequel Gombrowicz a traité des aspects les plus apparemment dramatiques de sa biographie. Son stoïcisme en ces matières a de quoi intriguer, car il s’agit bien, dans son cas, de la mise en application rigoureuse d’une philosophie de l’existence, d’une posture qui a choisi l’agôn comme mode d’affirmation de cet «autre moi» qu’explore l’écriture. Le trait qui se dégage le plus clairement de cette philosophie est son refus de souscrire à des effets pathétiques commandés et légitimés par des discours consensuels qui préexistent à la mise-en-scène qu’il désire, lui, donner de sa propre vie. Il en va, par exemple, de son rapport à l’exil.

Faut-il rappeler les faits? Fraîchement débarqué à Buenos Aires pour un voyage de plaisance organisé par une compagnie maritime qui inaugurait ainsi l’un de ses transatlantiques, Gombrowicz apprend avec ses compagnons de voyage que la Pologne vient d’être envahie par les Allemands. Après un moment de consternation, il décide de ne pas reprendre, comme les autres, le navire vers l’Angleterre et de tenter sa chance en Argentine, où il existe du reste une communauté polonaise. Il y restera vingt-quatre ans. En 1963, une bourse lui permet de retourner en Europe, plus précisément à Berlin, tout près des frontières de son pays natal. De ce côté, l’accès est bloqué: non seulement sa personne mais aussi son œuvre y sont interdites. Après l’épisode berlinois, Gombrowicz ira s’établir dans le sud de la France où il résidera jusqu’à sa mort en 1969. Alors que les années en Argentine ont laissé peu de traces visuelles ou sonores, hormis quelques photographies, Gombrowicz accorde en Europe plusieurs interviews aux journaux, à la radio ou à la télévision. Dans l’une d’elles, son interviewer, l’écrivain italien Piero Sanavio11, lui demande justement s’il vit difficilement son état d’exilé, ce à quoi Gombrowicz donne une réponse devenue aujourd’hui un lieu commun, mais qui à l’époque ne l’était pas: l’écriture, de toute façon, fait de l’écrivain un exilé, même en son pays natal, car le propre du travail littéraire est de «se définir à l’encontre des mécanismes communs12».

Lieu commun, ai-je dit, que cette vision de l’écriture comme exil. Il reste que j’entends dans le propos gombrowiczien une nuance par rapport à ce que nous racontent bon nombre des écrivains actuels qui nous le resservent. Chez ces derniers, on sent le plus souvent un désir de glorifier la marginalité de l’écrivain et d’interpréter l’exil réel comme un critère de légitimation de leur pratique d’écriture. L’écrivain exilé serait, de par sa situation, plus près qu’un autre de l’essence de la littérature. Dans cette perspective, l’expérience de l’exil confère à l’écriture une plus-value que l’écrivain accepte d’autant plus qu’elle constitue une forme de réparation des douleurs qu’il ne manque pas d’évoquer. La suite de la réponse de Gombrowicz à Sanavio montre au contraire qu’il n’entend aucunement se servir de sa situation pour se rendre intéressant. Chez lui, présenter l’exil comme la réalité même de l’artiste est une manière d’enlever tout pathétisme à son exil réel. Voilà pourquoi il ajoute laconiquement qu’il ne sert à rien d’en «faire un drame» et de «pleurnicher» sur son statut d’exilé, cette situation étant toute «naturelle» à l’écrivain, qui trouve sa vérité dans «une certaine volonté de s’opposer».

Mais s’en tenir à ces déclarations et observations, ce serait faire preuve d’une certaine surdité à d’autres aspects qui complexifient le rapport de Gombrowicz à l’exil et à la mémoire. Son refus de dramatiser et de se plaindre ne signifie pas que la souffrance ait été absente de son parcours. Il signifie seulement qu’il a fait de sa situation d’exilé un choix assumé. Deux exils, ce n’est pas rien dans la vie d’un écrivain, et le plus douloureux n’a pas forcément été le premier, l’exil de la patrie, mais le second, que j’appellerai, pour reprendre une expression de son cru, l’exil de la filistrie — cet insituable lieu de l’infériorité. Ce que j’aimerais mettre ici en relief, c’est la manière que Gombrowicz, une fois exclue la voie victimaire de la lamentation, a choisie pour mettre en jeu et symboliser son expérience de l’exil. Je montrerai aussi le rôle dévolu à la mémoire dans cette symbolisation. Par symbolisation, j’entends, d’une part, le processus de sémiotisation qui donne au texte sa cohérence interne et son autonomie par rapport à tout ce qui a pu inspirer l’écrivain; mais d’autre part aussi, la manière dont le texte inscrit le nom propre dans le discours social. La symbolisation est donc plus qu’une transposition ou qu’une sémiotisation de référents épars, c’est avant tout une reprise du discours social qui, ou bien conforte et consolide l’imaginaire social, ou bien ouvre en lui une brèche. Cette deuxième voie, tel est le sens de mon propos, est celle qu’emprunte la symbolisation gombrowiczienne puisqu’elle met en scène une parole qui reprend les signifiants nationaux tout en les réinterprétant à partir d’un ailleurs, d’un lieu inouï. Ce faisant, elle promeut la spécificité d’une signature irréductible aux déterminations qui l’ont au départ nourrie.

L’expérience du corps déplacé

Au moment de son arrivée en Argentine, Gombrowicz est déjà l’auteur de deux ouvrages qui ne sont pas passés inaperçus: un recueil de contes et nouvelles intitulé Mémoires du temps de l’immaturité (1933) et son fameux roman Ferdydurke (1937). En 1938, il a aussi publié dans une revue une pièce de théâtre, Yvonne, princesse de Bourgogne, dont personne n’a parlé et qui ne sera pas montée avant 1957. En 1939, enfin, il a fait paraître dans deux journaux varsoviens, sous pseudonyme, un roman-feuilleton intitulé Les envoûtés, dont il n’a admis la paternité que quelques semaines avant sa mort. Installé à Buenos Aires, il fréquente un peu la société polonaise, mais d’assez loin. Sa vraie passion est ailleurs. En réalité, coupé de tout contact avec les milieux littéraires, il interprète le destin qui lui échoit comme une chance inouïe de s’affranchir totalement de la «famille», la génétique comme la nationale, il entrevoit la possibilité enfin accordée d’expérimenter un autre corps, celui de son désir, de s’inventer à partir du dénuement, par les seules forces de sa personnalité. En constant porte-à-faux avec les circuits à l’intérieur desquels se construit généralement la visibilité de l’écrivain (circuits mondains ou institutionnels: salons, revues, colloques, lectures publiques, etc.), il fait l’expérience d’une communauté «inavouable», privée, incompatible avec la «communauté des gens de lettres13». Ces années de sa vie sont très peu documentées, tout comme un autre épisode point de fuite de sa biographie, celui du séjour dans les Pyrénées en 1929. On sait seulement qu’il vécut des aventures homosexuelles avec de jeunes garçons du peuple, rejouant dans sa vie, observera-t-il plus tard, la passion du Mientus de Ferdydurke.

Pendant ces premières années en Argentine, il n’écrit, dit-il, «rien de sérieux». Il ne se remet vraiment à l’écriture qu’en 1944: il entreprend un drame (Le mariage) et rédige une nouvelle (Le banquet). Parallèlement, il écrit des articles en espagnol et lance même une revue en 1947, Aurora, dont il est l’unique collaborateur et qui n’aura qu’un seul numéro14. Ce premier exil, malgré toute l’horreur des nouvelles de Pologne durant la guerre, entre autres le sort réservé aux Juifs qui, écrira-t-il plus tard, l’a «transpercé de part en part et à jamais» (J1, p. 179), fut vécu par Gombrowicz comme une intense et parfois honteuse jouissance. Honteuse, parce que l’écrivain vivait une nouvelle jeunesse alors que là-bas ses compatriotes se faisaient massacrer. J’expliquerai plus loin quel type de responsabilité Gombrowicz a choisi d’assumer à l’égard de la mémoire polonaise et comment cette culpabilité initiale s’est muée en courage. Ce qu’il faut retenir pour l’instant, c’est l’idée d’un exil accepté comme une occasion rêvée (et presque annoncée par certains textes contenus dans Mémoires du temps de l’immaturité) de renaître, de replonger dans cette immaturité qui se présente chez Gombrowicz comme le principe même de la création.

Mais jusqu’à quel point renaît-on? Jusqu’à quel point peut-on se couper de ses origines et réorganiser sa mémoire? L’aventure de Gombrowicz n’est pas celle d’un mort ou d’un revenant et sa mémoire n’est pas abolie. Il devra au contraire la prendre de front, la traverser, se mesurer à elle, opérations qui forment la matière de son deuxième roman, Trans-Atlantique. Ce roman n’aurait jamais pu être écrit sans l’exil argentin, et je ne parle pas du fait qu’il se déroule à Buenos Aires et raconte un certain nombre de péripéties liées à ce contexte précis. C’est plus profondément à la posture narrative et à la mise à distance parodique de la forme polonaise que je fais référence. Gombrowicz n’a pu écrire ce roman que depuis l’expérience nouvellement faite de l’altérité. Il a fallu cette plongée de son corps dans une autre langue, cela va de soi, mais aussi dans un autre circuit social, dans la faune humaine d’une autre classe habitée par une mémoire complètement différente de la sienne — faune humaine composée principalement de jeunes auprès de qui Gombrowicz, par dérision, par goût du divertissement et par volonté expérimentale d’éprouver les pouvoirs du titre, se faisait passer pour un comte polonais… Tout étant pour lui question de forme, la plongée dans l’altérité a été une manière radicale de prendre ses distances à l’égard non seulement de la forme polonaise en général, mais de sa propre forme individuelle forgée au contact de la famille et des milieux intellectuels polonais.

Les médiations investies

C’est à partir de ce point que je reprends maintenant la question de la médiation. Je veux examiner comment cet agôn «tout contre» la forme reçue en héritage, cette expérience de l’altérité et ce renouvellement du discours sur soi, loin d’être fomentés dans le retrait par un travail solitaire sur le langage, ont été envisagés par Gombrowicz de la manière la plus concrète et ont nécessité de sa part un travail constant sur sa posture sociale ainsi qu’une mise en jeu de son corps. Car si le livre est médiation chez Gombrowicz, il ne l’est que de manière paradoxale: tout est dans le livre, mais y figure avant tout l’ailleurs qui le déborde jusqu’au corps du lecteur (corps social et corps intime).

C’est ainsi du reste que, sans tomber dans le biographisme, il nous est possible de penser le rapport entre le vivre et l’écrire. Aussi longtemps que l’écrivain se retire dans sa sphère privée et médite son œuvre, il peut entretenir l’illusion d’une souveraineté sur les contingences extérieures. Mais qu’advient-il de cette souveraineté quand l’œuvre est prise en charge par les réseaux de diffusion et de consécration existants? Les médiations, qu’elles soient éditoriales, journalistiques, radiophoniques ou autrement techniques, possèdent leur propre mémoire, elles fonctionnent comme des systèmes ayant pour mission d’assurer leur reproduction, elles imposent au créateur et à son œuvre une forme qui leur est étrangère et qui travaille pour des intérêts qu’ils n’ont pas toujours prévus. Gombrowicz était conscient de cela, si bien qu’il a posé comme une urgence pour l’écrivain, afin de contrer les puissances d’avalement et de déformation, le corps à corps agonistique avec les instances médiatrices. Sans tomber dans le retrait idéaliste — les médiations techniques étant nécessaires à l’existence concrète du texte —, il a fait en sorte que sa parole individuelle ne soit pas totalement assujettie au discours muet, subliminal, que charrient les médiations. À défaut de pouvoir se passer d’elles, il s’agit alors de jouer sur les interstices, de détourner ces forces à son profit, de dire surtout l’immensité de la falsification qu’entraîne inévitablement le devenir-objet de la parole par l’action des circuits qui en assurent la diffusion.

On trouve des exemples de cette stratégie dès ses premiers pas comme écrivain, alors qu’il résidait encore à Varsovie. À cette époque, les écrivains fréquentaient les cafés. Au Ziemianska, le groupe de la revue Skamander, qui comprenait les poètes les mieux cotés, formait une table à l’étage supérieur. Délibérément, plutôt que d’approcher leur table comme un courtisan en quête de reconnaissance, Gombrowicz anime sa propre table au rez-de-chaussée. Il attroupe d’abord les paumés, mais peu à peu sa table devient un lieu animé de discussion, jusqu’à intriguer les habitués (SP, p. 153-159).

En Argentine, les choses dépassent la réalité des cafés, c’est la diffusion de l’œuvre qui forme l’enjeu. Normalement, Gombrowicz aurait dû suivre le circuit le menant aux élites locales branchées sur Paris, en premier lieu le cercle autour du mécène Victoria Ocampo, là où trônait le dieu Borges. On lui ouvre d’ailleurs les portes au tout début, mais les relations qu’il établit avec eux sont nettement conflictuelles. Là encore, Gombrowicz tourne le dos au processus convenu de l’ascension sociale. Dès 1948, comme il l’écrit lui-même dans sa chronologie biographique destinée aux Cahiers de l’Herne: «Il se sépare définitivement du milieu littéraire argentin qu’il fréquentait du reste très peu et plutôt pour des raisons économiques. Sa façon d’être, provocante et peu sérieuse, ne lui avait jamais facilité ses relations avec les milieux cultivés de la capitale15

Toujours au café, il s’acoquine avec des jeunes et des écrivains peu connus, ou encore avec des visiteurs de passage. On a découvert en lui l’auteur d’un roman irrévérencieux, Ferdydurke. Aussitôt, un groupe d’une dizaine de personnes s’organise autour de l’écrivain pour traduire le texte en espagnol: «Commencée dans des conditions parfois burlesques au café Rex avec un groupe de jeunes partenaires aux échecs, sans dictionnaire polonais-espagnol, cette traduction fut réalisée ensuite par les écrivains cubains Virgilio Piñera et Humberto Rodriguez Tomeu» (MMD, p. 268). Avec le jeune Alessandro Rússovich et soutenu
par une amie riche, Cecilia Debenedetti, Gombrowicz traduit également son drame Le mariage. Il rédige à cette occasion une préface, des notes et le commentaire sur la quatrième de couverture. Cette traduction en espagnol sera publiée avant que le livre paraisse en polonais. Plus tard, l’écrivain s’attaquera, avec un jeune Français de Buenos Aires, Roland Martin, à la traduction française de Ferdydurke, en s’inspirant non du texte original polonais mais de la version espagnole du roman. En 1947, alors qu’il travaille à son Trans-Atlantique, Gombrowicz fait publier dans une revue polonaise une «Épître aux ferdydurquistes». Rédigée sur un ton qui parodie à la fois le prophétisme biblique et le prologue de Gargantua (l’auteur, d’ailleurs, s’y présente comme «complètement bourré, noirci à bloc, rond comme une toupie, voué à une paresse crasse et une permanente bohème» (V1, p. 109), la lettre annonce, sans le nommer, le nouveau roman de l’auteur en demandant aux «disciples» de ne pas perdre espoir en l’esprit régénérateur du ferdydurkisme qui fera bientôt entendre à nouveau sa voix. Tous ces faits démontrent une volonté constante de contourner les médiations officielles entre l’auteur et ses lecteurs, et de créer un réseau singulier de diffusion et de promotion de son œuvre16.

L’investiture de la mémoire

Il vaut maintenant la peine de s’arrêter sur la manière dont a circulé ce deuxième roman de Gombrowicz. Écrit en Argentine, Trans-Atlantique est d’abord publié en fragments dans la revue de langue polonaise Kultura. Sise à Paris et publiée par un éditeur éponyme, cette revue de dissidents est distribuée dans l’ensemble de la «Polonia», c’est-à-dire de l’émigration polonaise, répartie aussi bien en France qu’en Angleterre, aux États-Unis ou en Amérique du Sud. Le roman est publié en livre, avec Le mariage, en 1953, toujours chez Kultura. L’œuvre de Gombrowicz est interdite en Pologne jusqu’au dégel, en 1957, mais de nouveau mise à l’index en 1958. La réputation de l’auteur se développe loin du lieu qu’il habite, auprès de lecteurs avec qui il n’a aucun contact. Officiellement, les livres de Gombrowicz sont inaccessibles à ses compatriotes de Pologne, mais ils circulent sous le manteau. Même l’iconoclaste Trans-Atlantique est accueilli par plusieurs comme un souffle libérateur.

De quoi est donc fait ce livre? De manière superficielle, on peut dire que Gombrowicz y règle ses comptes avec la patrie. Il dépeint sous un jour grotesque les Polonais de Buenos Aires, qu’ils soient dignitaires de la diplomatie, hommes d’affaires ou simples employés de bureau. La satire gombrowiczienne s’attaque surtout au rapport malaisé que les Polonais entretiennent avec la forme, à leur soumission aux diktats d’une idéologie nationale qui exige d’eux le sacrifice de leur souveraineté personnelle. Il ne s’agit toutefois pas d’un roman à thèse. Le narrateur lui-même, comme souvent dans les romans de Gombrowicz, loin de maîtriser le sens de ce qu’il observe autour de lui, est complètement désorienté, emporté par une kyrielle d’événements absurdes ou grotesques. Il est le héros manqué d’une épopée qui tourne à vide; à l’épique, en fait, se substitue l’esprit du picaresque. Le seul recours du narrateur est l’imprécation. Mais il est aussi le témoin d’une force de dissolution incarnée par un puto, un inverti, qui lui trace la voie vers le renversement de la patrie en filistrie. La filistrie n’est pas une idéologie salvatrice, elle n’est que l’envers de l’esprit patriarcal, un mouvement de révolte pour contrer le sacrifice des fils par des pères soumis au pouvoir de formes inadéquates et figées (une certaine conception de l’honneur, par exemple, qui tourne à la bouffonnerie). Le personnage narrateur est sans cesse acculé à des situations de double contrainte, à des dilemmes insolubles. L’entre-deux est la figure centrale du roman, à partir même du titre qui, par le trait d’union entre Trans et Atlantique, suggère un va-et-vient incessant entre la Pologne et l’Argentine, entre la patrie et la filistrie, entre le sacrifice et la jouissance, entre la fidélité et la liberté, entre une identité fixée dans une forme consacrée et l’éclatement monstrueux qu’introduit l’univers du puto. Le narrateur ne choisit pas, même si l’appel se fait plus urgent du côté de la filistrie.

Le courage démontré par Gombrowicz dans ce roman consiste en une saisie à bras-le-corps, associée à un travail de symbolisation de sa propre mémoire (soit ses huit années passées en Argentine, ramassées ici en une histoire qui dure quelques semaines), de toute la mémoire polonaise, la mémoire récente liée aux événements de la deuxième guerre mondiale, mais aussi une mémoire plus ancienne, constitutive de l’identité des Polonais, des représentations d’eux-mêmes qu’ils souhaitent projeter à l’étranger. Pas étonnant alors que Gombrowicz, dans un exceptionnel travail de concentration, privilégie la parodie et le grotesque à la représentation réaliste pour toucher le cœur sensible de cette tyrannie des formes.

Parodie: altérité du même

Il faut s’arrêter un instant sur l’éthique de la parodie comme forme d’écriture prenant en charge la mémoire nationale. Que veut dire parodier en effet? Il y a dans la parodie une mise à distance, certes, mais cela ne s’effectue pas sur le mode de la séparation (comme dans la satire, par exemple) entre soi et l’autre. Elle suppose au contraire un moment d’identification avec le modèle subverti. La parodie permet au sujet à la fois d’être et de ne pas être. La division n’a donc pas lieu qu’entre lui et ce qu’il rejette, mais bien à l’intérieur de lui: la fissure parodique s’inscrira dans la voix même du sujet, marquée de duplicité. Dans le traitement des personnages, la parodie introduit aussi une distance qui transforme le connu en étrangeté. Ainsi, on remarque qu’à chaque apparition d’un nouveau personnage dans le roman le narrateur signale qu’il s’agit de l’être le plus bizarre ou étrange qu’il ait jamais rencontré. Le narrateur même, qui porte dans le roman le nom de l’auteur, qui plus est «écrivain polonais», succombe au traitement parodique et devient en quelque sorte un Witold Gombrowicz expérimental et non une représentation réaliste. Mais c’est surtout dans le langage et le style que Trans-Atlantique travaille la mémoire polonaise. Rosine Georgin17 a en effet démontré que ce roman est une parodie de la seule forme littéraire qu’ait produite exclusivement la littérature polonaise: la gaweda, forme dérivée du baroque sarmate, qui désigne le style oral, emphatique et maniéré des conteurs polonais du dix-neuvième siècle. C’est donc sur ce genre mineur et démodé que se déploie le propos moderne de Gombrowicz. S’ajoute à cela la reformulation carnavalisée de motifs et symboles comme le kulig, le duel, la chasse à courre, etc., présents dans une œuvre emblématique du romantisme polonais, le Pan Tadeusz d’Adam Mickiewicz. Gombrowicz déclarera avoir conçu son roman «comme un Pan Tadeusz à rebours» (T, p. 116). La dette à l’égard de Mickiewicz avait déjà été reconnue clairement dans un passage du Journal, passage qui montre que la révolte du fils est aussi une manière de se fonder comme père: «Il y a une centaine d’années, le poète lituanien avait forgé la forme de l’esprit polonais; aujourd’hui moi tel Moïse, je libère les Polonais des chaînes de cette ancienne forme, je fais sortir le Polonais de lui-même» (J1, p. 85). Ce Moïse est lui aussi «à rebours», car il ne songe nullement à ramener son peuple vers la Terre promise; il veut au contraire lui donner la force d’être souverain en terre étrangère.

En définitive, dans Trans-Atlantique, la mémoire devient médiation vers une forme autre tirée de la parodisation, celle-ci agissant comme une prescription du symptôme, seule avenue possible pour se libérer de la double contrainte18. La médiation assure le passage du discours de la communauté au discours de la singularité. Mais cette singularité n’est en rien celle de la monade agissant pour son propre compte et s’élaborant dans un ailleurs abstrait. Gombrowicz fait comprendre que la singularité est le résultat d’un agôn «tout contre» la forme héritée: il ne s’agit pas de renier, de dénier ou de tourner le dos, mais d’explorer le refoulé de la communauté pour pouvoir mieux prendre ses distances à l’égard du discours appris.

Le Journal ou la sociabilité retrouvée

En écrivant Trans-Atlantique, Gombrowicz pose deux gestes déterminants: d’abord, il élit définitivement le polonais comme langue d’écriture, ce qui n’allait pas de soi pour un écrivain soucieux comme lui d’amener le Polonais hors de lui-même; bien plus, il commet l’imprudence stratégique d’écrire un roman pratiquement intraduisible et farci de références que seuls les Polonais cultivés sont aptes, de prime abord, à saisir. Mais sans Trans-Atlantique, le Journal n’aurait pas été possible, ce Journal qui est le véritable acte de fondation de Gombrowicz dans sa singularité. Dans le Journal, la Pologne est commentée depuis le point de vue d’un moi qui, quatre fois nommé, constitue l’incipit du livre. L’écrivain, ensuite, lit les journaux et les revues, reçoit des ouvrages publiés par des Polonais et il commente, il provoque, il agonit la complaisance des divers bardes qui se présentent. Avec le Journal, Gombrowicz achève la mise en place de sa posture d’énonciation, il a trouvé la plate-forme interlocutoire qui convient à sa subjectivité: installé en Argentine et publié à Paris, il est définitivement un écrivain polonais. Et avec les traductions qui commencent à voir le jour, cet écrivain polonais s’adresse à l’ensemble de l’Occident.

Le Journal est aussi une œuvre d’art, un work in progress qui forme un nouvel espace dialogique. Publié par tranches, il suscite des réactions que l’écrivain réinscrit dans les tranches suivantes. Avant sa publication en volume, Gombrowicz revient sur le texte, ajoute des passages, organise sa mosaïque, tend de nouveaux pièges. Il met son moi à nu tout en organisant un système défensif autour de lui. Ce moi ne se scrute pas le nombril, il se définit dans l’affirmation; il se définit aussi comme rejet de tout ce qui cherche à l’anéantir. Mais tout à coup, parallèlement au Journal, voici que Gombrowicz écrit une série de textes de facture linéaire, d’une remarquable limpidité, à travers lesquels il raconte sa vie, de la naissance à son départ pour l’Argentine. Une telle autobiographie, connue maintenant sous le titre Souvenirs de Pologne, eût été impensable avant l’expérience du Journal. Fortement établi dans sa personnalité d’écrivain, Gombrowicz peut désormais raconter dans quelle saumure il a mariné, comment il s’est formé. J’ai dit plus haut que, dans Trans-Atlantique, la mémoire agissait comme médiation, pont ou navire de contrebande entre l’Europe et l’Amérique; dans Souvenirs de Pologne, c’est la médiation de la radio qui permet l’émergence d’une mémoire partagée avec des auditeurs inconnus de l’auteur. Ces textes, de même que ceux contenus dans Pérégrinations argentines, sont en effet destinés à une lecture sur la chaîne radio Free Europe. Cette station, qui émettait à partir de Munich dans plusieurs pays de l’Est, était financée par les Américains pour défendre le «monde libre» contre le communisme. Gombrowicz recevait d’eux une petite bourse mensuelle moyennant un envoi régulier de textes. Il semble que ces textes, en fait, n’aient jamais été diffusés, probablement parce que leur contenu politique n’était pas assez prononcé (pour en donner une idée: dans Pérégrinations argentines, le nom de Perón n’est mentionné qu’une seule fois). Une fois installé en France et devenu une célébrité, Gombrowicz n’a jamais fait mention de ces textes pourtant d’un grand intérêt, sans doute parce qu’il les considérait comme des travaux «alimentaires». On ne découvrira leur existence qu’après sa mort. Outre la mise en scène d’une mémoire qui mêle l’individuel et le collectif (et qui démontre à quel point Gombrowicz était conscient de
n’être pas issu de nulle part), je retiens de ces textes leur qualité d’adresse aux compatriotes et le rôle de médiateur que se donne l’écrivain. Ainsi dans Pérégrinations argentines: «Je vous raconte, amis, l’Argentine, l’Amérique… et pourtant, je crois vous parler bien davantage de vous-mêmes, tels que l’on vous voit d’ici, à partir de cette étrange pointe baroque de l’Amérique du Sud, fichée entre deux océans19

Reprise, par d’autres moyens, de la pensée trans-Atlantique: l’entre-deux comme lieu de passation de l’autre à soi, mais qui soumet le soi aux distorsions «baroques» du regard étranger. En clair, Gombrowicz se sert du point de vue offert par l’«étrange pointe baroque» pour déstabiliser l’idée que ses compatriotes se font d’eux-mêmes.

Une mémoire sans communion

Le fragment du Journal où Gombrowicz raconte son retour en Europe offre un autre témoignage de ce tragique antipathétique évoqué plus haut. Car l’exilé est revenu, non pas au pays natal, mais dans cette Europe qu’il avait défiée tout au long de sa vie. Deuxième exil, ai-je écrit, plus douloureux que le premier. Mais est-ce là encore une raison de se plaindre? Il reste que, dans le récit qu’il fait de ce nouveau passage outre-Atlantique, Gombrowicz laisse entendre quelque chose qui, par-delà la plainte, renvoie à la fragilité ontologique de l’être humain. Dans ces pages écrites après coup20, l’écrivain se fait phénoménologue de la désagrégation de son moi, d’un changement de peau qui le fait passer, l’espace et le temps d’une traversée océanique, du Gombrowicz argentin à un autre qui lui est encore inconnu. L’entre-deux qui s’écrit là est le lieu d’un passage et d’une passation, mais aussi d’une passion au sens christique du terme: l’image se déchire, le chaos envahit tout jusqu’à liquéfier l’identité.

Que se passe-t-il au juste? Voyons de plus près. Sur le pont du navire, scrutant l’Argentine qui s’éloigne de lui, Gombrowicz tente d’en cerner l’essence. Tout est allé très vite et le voici qui s’éloigne. Il quitte un pays d’adoption, un univers de relations humaines qu’il a lui-même patiemment créé. Déjà, sur le quai, au moment des adieux, il s’est senti ailleurs et il s’étonne après coup de n’avoir retenu de cette scène qu’une image banale, «un réverbère, une plaque, un plan d’eau». Tous ces derniers jours en Argentine ont été vécus sur le mode du déphasage, de la disjonction. Une jeune fille, la veille de son départ, lui confie qu’elle est depuis longtemps amoureuse de lui: «[E]t je vis des larmes… mais déjà je n’en avais plus le temps et tout se passait comme si ces sentiments avaient longuement attendu de se réaliser, jusqu’au jour où moi je deviendrais irréel» (J2, p. 317). Disjonction également entre la vision des lieux où il a vécu et l’image intériorisée du temps: «[J]e reconnus l’odeur d’antan… et, durant un instant, fixant quelque chose d’invisible, j’ai espéré que le geste du retour apporterait signification et forme au jour présent. Non. Rien. Désert. Vide» (J2, p. 319). Dans toutes ces pages, la médiation de la mémoire est supplantée par l’immédiat, un immédiat vide de toute référence car il est pur lieu de passage. L’Argentine s’est évanouie à l’horizon et Gombrowicz ne peut la fixer en une image précise. Elle s’est tout simplement liquéfiée, elle est devenue abstraction: «C’était le désert. L’infini de ce vide ardent, bouillonnant, jaillissant, indiscernable, insaisissable, gouffre fait de mille remous et tourbillons, là-bas autant qu’ici identique… et plus loin, plus loin, le plus loin possible, c’est en vain que tend mon regard jusqu’à la douleur, rien, non, on ne peut rien distinguer, derrière le mur de la nuit tout va en se versant, déversant et renversant sans trêve ni répit, en noyant, fondant et dissolvant tout… et derrière les ténèbres, là en bas, il n’y avait, je le savais, rien que masse informe et liquide mouvance, devant moi espace sans consistance, et là-haut un ciel qui s’étoilait d’essaims innombrables, ciel indiscernable, insaisissable… Malgré tout, je concentrais mon regard. Mais non, rien du tout. Et d’abord avais-je un droit de vue quelconque, moi, tourbillon et chaos dans ce chaos, sans lieu ni mémoire, ballotté par des passions et des douleurs inconnues — comment, dites, peut-on à quelque vingt années de distance n’être rien de plus qu’eau bouillonnante, étendue vide, nuit noire, ciel incommensurable… n’être plus qu’un élément aveugle, et sans pouvoir aboutir à rien en soi-même? Argentine! Mais quelle Argentine? Rien du tout. Fiasco» (J2, p. 329-330).

Gombrowicz est un écrivain concret et cette page en offre un témoignage probant avec son insistance sur l’être-là, son lexique qui renvoie à des perceptions visuelles et à des mouvements matériels (bouillonnement, jaillissement, renversement, etc.). Chez lui l’identité se joue toujours entièrement dans l’ici et le maintenant. La plupart des récits de départ, d’exil et de rupture exploitent un sentimentalisme de convention: on verse une larme, mais l’identité, fondamentalement, n’est pas atteinte. Un plus-être, au contraire, y est accordé au sujet, le plus-être de celui qui possède une histoire et qui peut la partager, ne serait-ce que sous le signe de la mélancolie. Chez Gombrowicz, rien de tel. Non seulement l’Argentine échappe-t-elle à sa saisie par le regard de la mémoire, mais c’est le sujet lui-même qui devient insaisissable à lui-même, «élément aveugle», «ballotté par des passions et des douleurs inconnues».

Il importe toutefois d’observer comment l’antipathétisme continue d’agir, cette fois dans la reconnaissance des aspects triviaux et grotesques de l’existence qui ponctuent l’existence, même dans les moments sublimes ou tragiques. Sur le pont du navire qui s’éloigne, Gombrowicz tente donc de capturer l’essence de cet instant de rupture, instant qui devrait être solennel, chargé des plus hauts sentiments et des pensées les plus profondes. Il scrute. Mais son déchiffrement est altéré par la préoccupation d’avoir perdu les deux cent cinquante dollars qu’on lui avait alloués pour la traversée: «Il va falloir traverser tout l’Atlantique avec les quelques pesos qui me restent, pécule qui correspond à trois dollars environ! Bon, mais là-bas, dehors, vois la ville qui vogue au loin, allons, concentre-toi, ne te laisse pas voler cet adieu, et je remonte en courant sur le pont: on ne voyait plus, tout au fond du plan d’eau, que tourbillons de matière mal définie, galaxie marquée çà et là d’un contour plus précis, mon regard ne comprenait plus rien, un plasma riche d’une géométrie propre à lui et malgré tout trop difficile… et cette résistance, à chaque instant croissante et qui m’écrasait, s’accompagnait du fracas de l’eau fendue par l’étrave du navire. En même temps, les deux cent cinquante dollars faisaient irruption dans mes vingt-quatre années de vie argentine, l’instant se dédoublait en vingt-quatre et deux cent cinquante, ah, mathématiques trompeuses et aberrantes!» (J2, p. 321). Ici comme ailleurs, le tragique et l’humour s’entremêlent et cela se joue dans l’énonciation, dans le contrepoint entre le désir d’un sentiment qui fuit, la disjonction entre la vision extérieure et l’intériorité, la contamination du haut par le bas. L’humour n’empêche pas le désarroi, lequel déborde le sujet individuel pour s’élever à l’échelle cosmique: tout autour n’est plus que tourbillons, plasma, fracas, avec au milieu de tout cela un sujet doté d’un regard qui ne «comprend plus rien», écartelé entre deux temporalités qui se combattent l’une l’autre.

Le pitre devant les monuments de la culture

On peut s’étonner qu’un homme tel que lui, qui commençait alors à jouir de la reconnaissance auprès du public cultivé, qui d’ailleurs retournait en Europe grâce à une bourse prestigieuse, on peut s’étonner qu’il nous fasse le récit de la dissolution de son moi, le constat que son labeur pour arriver à être quelqu’un se solde sur le sentiment angoissé de n’être qu’un cadavre en sursis lavé par le temps. C’est mal connaître le moi gombrowiczien et son rapport malaisé à l’être-pour-l’autre. Ce qui terrorise en partie l’écrivain, c’est l’idée de s’acheminer vers un Gombrowicz désincarné, inventé par ses lecteurs et supporteurs, un Gombrowicz, pour tout dire, médiatique. En Argentine, il s’était formé une communauté personnelle au sein de laquelle il était quelqu’un. C’était une communauté en dehors des cercles qui définissent habituellement l’écrivain, mais c’était quand même un lieu d’échange où se nourrissait son sentiment d’exister et de se créer à travers l’autre. C’est cela qu’il quitte avec l’Argentine, une communauté hyper-personnelle, non autorisée par l’institution. Et c’est vers l’institution qu’il se dirige en rejoignant l’Europe, un autre genre de communauté avec des rites étrangers au désir qui l’a toujours animé. En Europe, il sera pris en charge, il trouvera là des amis, des alliés, mais que des êtres mûrs, rien qui suggère en lui le renouvellement du désir de vivre que lui a procuré le contact avec l’immaturité du non-accompli. Fini le sentiment de concocter son œuvre en contrebande, de circuler dans un espace que la spectacularisation institutionnelle n’a pas touché de son ombre; son corps se retrouvera désormais sous les feux des projecteurs, on l’interrogera sur toutes sortes de sujets et il n’aura plus de contrôle sur la manière dont on retranscrira ses propos.

C’est alors dans ce moment d’écartèlement, voire de désagrégation, que Gombrowicz formule l’opération qui lui permettra de se refonder: «Dans ma déliquescence, il est une nécessité absolument inéluctable, et qui me tourmente: il va me falloir, à Paris, être l’ennemi de Paris. Rien à faire! Si je ne leur reste pas, tel un os, en travers du gosier, ils m’avaleront tout cru! […] N’empêche qu’on saurait à peine imaginer destin plus ironique: qu’il faille encore que moi, dans mon abîme, dans mon éloignement océanique, je me sculpte moi-même de ce brouillard, et que cette brume, cette nuée de vapeur, je la transforme en poing!» (J2, p. 344). Ainsi, sur le bateau qui le ramène en Europe après vingt-quatre années d’Argentine qui se terminent par une plongée dans le néant, une dissolution quasi psychotique de son moi, il est aussitôt ramené dans le champ du social par la pensée de Paris vers où il se dirige. Et c’est du fond du chaos qu’il conçoit la posture qu’il adoptera à l’égard de cette grande ville de culture. Il reprend avec Paris le jeu qu’il avait élaboré, en Pologne puis en Argentine, dans les cafés où, réuni avec des artistes et des écrivains, il s’amusait à prendre le contre-pied de tout ce qu’on lui proposait. Cette posture qui le tire du néant et lui redonne une forme est apparemment celle du polemos. La seule différence dans le cas de Gombrowicz est que son attitude polémique n’est pas un déni du chaos. Au contraire, il tient la brèche ouverte. Gombrowicz part en guerre contre Paris, mais il sait que c’est du théâtre: il n’a pas besoin de détruire Paris, il veut seulement résister à l’avalement. Ses agressions contre Paris n’ont d’autre fonction que d’enlever à cette ville ses vêtements, ses parures, sa vieillesse, sa maturité, pour toucher sa nudité, sa beauté naissante. Devenir l’ennemi de Paris, voilà le projet qui lui permet de respirer de nouveau, de se donner un peu de jeu. C’est ainsi qu’une fois en France, interviewé de toutes parts, il ne ménage pas ses coups de gueule: «Je n’aime pas Balzac, je n’aime pas Flaubert. Zola? Ah non, je n’aime pas21…», dit-il à l’un. À un autre: «La cuisine française est une abomination universelle22». Paris et la culture française ne sont toutefois qu’un prétexte: «C’est entendu, je suis anti-parisien. Cependant, à travers Paris, c’est plutôt toute une culture européenne que je vise, dont Paris est le maître et le champion23.» C’est ainsi que l’un de ses grands coups d’audace, pendant ces dernières années de sa vie, sera de s’en prendre à l’un des plus grands monuments de la culture européenne: Dante.

Le texte intitulé «Sur Dante» (J2, p. 513-531), que Gombrowicz, avec la complicité de Dominique de Roux, s’est amusé à envoyer aux personnalités les plus susceptibles de se sentir choquées, illustre bien la dernière manière agonistique de l’écrivain, une manière où la facétie semble l’emporter sur l’acuité critique. Faisant fi de six siècles d’exégèse érudite, Gombrowicz se permet de confronter l’Enfer de Dante à la réalité d’un homme du vingtième siècle. Sa question est simple: est-ce que la description faite par Dante de l’enfer tient encore le coup aux yeux d’un contemporain des goulags et de la Shoah? La réponse étant négative, il se permet de récrire certains vers pour leur redonner leur force perdue. Ce révisionnisme radical n’a pas manqué de déplaire aux interprètes et admirateurs de l’œuvre dantesque. La mauvaise foi dans laquelle baigne cette facétie avait en effet de quoi irriter l’esprit de sérieux philologique. Étienne Gilson semble avoir raison d’écrire, après lecture du pamphlet: «Je n’y ai rien trouvé, sauf qu’il parle de la Divine Comédie comme si elle ne contenait que l’Enfer […]. Je ne trouve qu’une idée dans ce petit pamphlet plutôt enfantin, c’est que, puisque nous venons 600 ans après Dante, nous lui sommes supérieurs, étant nés plus tard, et sur un palier plus élevé de l’évolution. C’est consternant. À renvoyer soit à Bouvard, soit à Pécuchet24.» En effet, la lecture gombrowiczienne de Dante passe à côté de tout ce qui fait la grandeur du poème — en premier lieu de sa poétique —, elle le traite avec la même désinvolture qu’affichait l’écrivain à l’égard de la peinture, lui qui déclarait n’avoir mis les pieds qu’une seule fois au Louvre, ignorant les tableaux pour ne s’intéresser qu’aux visages de ceux qui les contemplaient25. La réponse de Giuseppe Ungaretti au «Sur Dante» (télégramme envoyé à Dominique de Roux) est encore plus viscérale: «Livre sur Dante du Polonais pure infamie. Insensé et absurde d’avoir publié tel outrage. Mis en morceaux et jeté au diable cet écrit stupide et horrible, sans pareil stupide» (T, p. 268). Nous voici donc en plein malentendu. Cioran, lui, se fait plus nuancé, troublé: «C’est beau, déroutant, fou et intolérable26.» Quatre adjectifs qui signalent la perception, confuse mais sensible, d’une pertinence logée, par-delà l’énoncé littéral, dans l’acte de discours lui-même. L’antiadmiration en acte, le courage de demander: mais qu’est-ce que ça vaut, pour moi, maintenant?

Sans pour autant procéder à une analyse systématique du pamphlet, on peut se demander ce que vise au juste un tel cabotinage de la part d’un écrivain qui travaille depuis plus de trente ans à faire reconnaître sa supériorité. Quand on se donne la peine de lire le texte attentivement, on se rend compte que le refus d’admirer, loin de relever d’un goût enfantin de la provocation, met en relief le problème du temps, de notre rapport à un ex-vivant à travers ces médiations que sont la trace écrite, d’une part, et le discours institutionnel qui la perpétue, d’autre part. Gombrowicz veut entrer en contact avec Dante vivant; or, celui-ci se présente comme une altérité radicale, d’autant plus radicale que la tradition l’a rendu étranger à lui-même: «La Divine Comédie? Elle ne me suffit pas. Ce que j’y cherche, c’est Dante. Mais sans l’y trouver: car le Dante que m’a légué la tradition, c’est précisément l’auteur de La Divine Comédie. Ces grands hommes ont cessé d’être des hommes pour devenir des réalisations» (J2, p. 524). Le Dante produit de son époque ne l’intéresse pas non plus: Gombrowicz ne croit pas aux pouvoirs de la reconstitution historique — il est sollicité par des problèmes plus urgents, liés à sa situation d’homme moderne. Il prend donc le parti d’interroger le texte depuis le point de vue d’un homme d’aujourd’hui. Cette seconde tentative le conduit à conclure que le poème de Dante est obsolète; produit d’une époque passée, il n’offre à l’imagination qu’un cortège de figures qui éveillent difficilement la sensibilité moderne: «Les tourments de tous ces damnés, qu’ils sont frustes et simplets! Si minces, somme toute, et tellement bavards! Ces sermons déclamés entre deux séances de torture…» (J2, p. 525). Iconoclaste? Sans doute. Mais quand on y songe, combien stimulant le défi lancé aux exégètes, qui pourrait se traduire ainsi: «Saurez-vous me convaincre que cette œuvre par vous louée et encensée vous apporte réellement quelque chose en dehors du fait qu’elle vous donne l’occasion de vous exhiber avec votre savoir?» Ne concluons pas que tous failliront à y répondre, à preuve un récent dialogue entre Philippe Sollers et Benoît Chantre qui aurait pu s’intituler Dante mon prochain27. Mais le geste de Gombrowicz comporte une signification supplémentaire: par le biais de la farce grotesque, il donne bien sûr une démonstration de ce que veut dire prendre ses distances par rapport au sublime de convention proposé par la culture officielle, mais plus fondamentalement encore, il soumet à ses contemporains l’exigence de critiquer — pour la renouveler — leur compréhension de ce que sont l’enfer et le mal. L’enfer, pour lui, comporte une dimension inhumaine, c’est «une éternité qui poursuit son abîme» et c’est la source même de la douleur. Le poème de Dante lui paraît monstrueux à cause de la facilité avec laquelle le poète décrit nombre de tortures, facilité dérivée d’une conception théologique faisant de l’enfer la marque du «Suprême Amour». Gombrowicz se demande aussi comment peut exister le scandale que représente la conjonction entre la jouissance et la douleur infligée à l’autre, en fournissant lui-même l’hypothèse qu’une telle déresponsabilisation face à la douleur ne peut se développer que dans un climat où l’irréalité a pris le pas sur le sens du réel — la cruauté des bourreaux pouvant être définie comme une irréalité objectivée28. En tout dernier lieu, et sur un plan qui concerne davantage le point de vue développé dans ce chapitre, «Sur Dante» fait ressortir «performativement» la manière quasi totalitaire dont la Culture musèle toute opinion sur les grandes œuvres qui émanerait d’un point de vue «naïf», non autorisé. La posture gombrowiczienne rappelle dans son irrévérence qu’il est plus essentiel à l’être humain de s’interroger de manière concrète sur les mécanismes d’engendrement de la douleur que d’imposer la vénération des «grandes œuvres» en érigeant sur elles le pouvoir abêtissant de la parole institutionnelle.

Witold contre Gombrowicz

Dans toutes ces polémiques où Gombrowicz joue le rôle du fou du roi — ou de l’enfant qui signale sa nudité —, la valeur des énoncés compte moins que l’acte de discours lui-même. Mais par-delà la farce, un enjeu de taille se dessine, un combat quasi impossible impose sa loi, dont la solution n’est peut-être que dans la mort: rompre avec Gombrowicz lui-même, combattre sa propre forme pour ne pas tomber dans la bêtise: «Depuis que je me suis mis à cultiver la littérature, je dois sans cesse démolir quelqu’un pour me sauver moi-même. […] Mais, plus les années passent, plus mes paroles, mes paroles écrites, s’éloignent de moi […]. Une chose est sûre: ma révolte trouvera des éditeurs, des commentateurs, des lecteurs, elle sera facilement digérée par la machine. […] Je suis devenu littérature et mes révoltes elles aussi sont de la littérature. La loi: plus c’est savant plus c’est bête s’applique à moi parfaitement» (J2, p. 538). Le constat est douloureux, c’est comme si le déclin des forces dans la vieillesse signait la fin de la souveraineté de cet écrivain qui, justement, a toujours refusé l’étiquette d’«écrivain». Il le savait, au fond, que son retour en Europe, symbole de sa réussite, était en réalité, pour l’agoniste en lui, le signe de sa mort. Dans sa dernière interview, au journaliste qui lui demande quels sont ses projets d’avenir, il répond: «La tombe» (V1, p. 213). Dans les dernières pages du Journal, on le voit donc énoncer, par-delà Paris et la culture européenne, cette ambition qu’il est désormais impuissant à réaliser mais qui nous donne une vision juste de son rapport aux médias, au livre publié, à tout ce qui aura contribué à façonner son personnage: «Et aujourd’hui, moi, individu vivant, me voilà serviteur de ce Gombrowicz officiel, que j’ai fabriqué de mes mains. […] j’ai fait mon trou, je remplis mon rôle, je suis serviteur. De qui? De Gombrowicz. Ma révolte d’antan va-t-elle renaître dans l’imagination de quelque autre, jeune et conquérante? Je ne sais. Mais moi? Arriverai-je encore une fois à me révolter contre lui, contre ce Gombrowicz? Je n’en suis pas du tout sûr. […] Se débarrasser de Gombrowicz, le compromettre, le détruire, voilà certes qui serait vivifiant… mais il n’est rien de plus ardu que de lutter contre sa propre carapace» (T, p. 182-183). Le déplacement dans l’aire de l’entre-deux faisait le style du vivant — mais les cadavres s’amoncelaient, les deuils se multipliaient: la mère, la famille, la Pologne entière jamais revues; puis l’Argentine, ce halo de jeunesse momentanément soustrait aux feux du temps, retournée à son essentielle étrangeté une fois l’Océan retraversé. Mort, Gombrowicz? Pas si sûr. Pour lui, c’était sans doute la fin: il se sentait achevé. Pour nous, lecteurs, il en va autrement: en poussant le désir de liberté jusqu’à combattre sa propre image, Gombrowicz nous donne encore une leçon de souveraineté. Cette incessante contestation continue d’agir dans son œuvre, ce qui la rend proprement inachevable. Dans la mesure où il nomme cette mort avec justesse, sa voix sur la page continue d’opérer ses renouvellements. Et à la fin, c’est au lecteur qu’il revient d’en faire l’«entre-émetteur» de ses propres passages.

Notes

1. J.-P. Salgas, Witold Gombrowicz ou l’athéisme généralisé, Paris, Seuil, «Les contemporains», 2000.

2. Mis à part l’ouvrage de Salgas, mentionnons A. Kijowski, «La stratégie de Gombrowicz», dans «Gombrowicz», Cahiers de l’Herne, no 14, 1971, p. 76-84; J. Peiron, Gombrowicz, écrivain et stratège. Un auteur «excentrique» face à la France, Paris, L’Harmattan, 2002.

3. Voir, de P. Bourdieu, son célèbre article «Le marché des biens symboliques», L’année sociologique, no 22, 1971, p. 49-126; voir aussi La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, «Le sens commun», 1979.

4. Ce qui le distingue d’un Philippe Sollers, par exemple, qui est à la fois écrivain, directeur d’une revue, directeur de collection chez Gallimard et critique au journal Le Monde, sans parler de ses nombreuses apparitions sur les plateaux de télévision.

5. J.-P. Salgas, op. cit., p. 19-20, note 11, et p. 192-195.

6. P. Zdziechowski, cité par J.-P. Salgas, op. cit., p. 11.

7. A. Kijowski, «La stratégie de Gombrowicz», art. cité.

8. Ibid., p. 82-83.

9. Ibid., p. 83.

10. F. Flahault, Le sentiment d’exister. Ce soi qui ne va pas de soi, Paris, Descartes & Cie, 2001, p. 382-383.

11. «Witold Gombrowicz», entretien avec Piero Sanavio, Lugano, télévision Suisse-Italienne, production Marcioni «Incontri», réalisation Grytzko, mars 1969 (30 min.).

12. Celui qui a lu à fond Gombrowicz sait bien que, pour lui, l’aventure littéraire est avant tout une plongée dans ce que l’humain connaît de plus secret: la honte, la douleur, la jouissance…, bref, ce qui ne se laisse pas traduire dans les mots de la tribu.

13. La notion de «communauté inavouable» renvoie bien sûr

au livre de Maurice Blanchot, La communauté inavouable, Paris,

Minuit, 1983.

14. Le contenu de ce numéro unique se retrouve dans V2, p. 164-176. Il faut mentionner que les articles de cette revue sont des chefs-d’œuvre d’humour absurde.

15. «Gombrowicz», Cahiers de l’Herne, op. cit., p. 16.

16. Gombrowicz connaît bien le jeu et il sait s’en amuser.

À Maurice Nadeau, son premier éditeur français, il fait la recommandation suivante: «Lancez sur le marché d’occasion une quantité considérable de Ferdydurke avec une bande qui dise à peu près ceci: “roman considéré comme chef-d’œuvre d’humour, traduit dernièrement en huit langues”» (cité par J.-P. Salgas, op. cit., p. 142).

17. R. Georgin, Gombrowicz, Lausanne, L’Âge d’homme, 1977.

18. Pour les notions de «double contrainte» et de «prescription du symptôme», voir P. Watzlawick, J. H. Beavin et D. D. Jackson, Une logique de la communication, Paris, Seuil, «Points», 1972.

19. W. Gombrowicz, Pérégrinations argentines, Paris, Christian Bourgois, 1984, p. 117.

20. Ce récit, écrit à Berlin un mois et demi après le départ d’Argentine, a plus tard été publié sous le titre Journal Paris-Berlin (Paris, Christian Bourgois, 1968). Il est maintenant intégré à l’ensemble du Journal (J2, p. 313-348).

21. «Moi, Gombrowicz», émission réalisée par Andrzej Wolski et Estelle Germain-Thomas, s. d.

22. «Witold Gombrowicz», Bibliothèque de poche, émission animée par Michel Polac, Dominique de Roux et Michel Vianey, 1969.

23. W. Gombrowicz, Journal Paris-Berlin, tome III bis: 1963-1964, Paris, Christian Bourgois, 1968, p. 7-8.

24. «Gombrowicz», Cahiers de l’Herne, op. cit., p. 359.

25. L’anecdote est racontée dans Souvenirs de Pologne (SP, p. 95-98). On trouvera une anecdote similaire dans J1, p. 57-62.

26. «Gombrowicz», Cahiers de l’Herne, op. cit., p. 418. La réaction de Jean Dubuffet sera aussi très positive, attentive avant tout à la posture énonciative: «Je me suis régalé de la glose Sur Dante, pleine d’insolite saveur, pleine de vues fines et fécondes qui fournissent à l’esprit un tonique aliment. Et dont surtout la gesticulation, le lieu et le mouvement propre à la gesticulation, plus encore que la substance des idées proposées, est extrêmement vivifiante» (J. Dubuffet et W. Gombrowicz, Correspondance, Paris, Gallimard, 1995, p. 63-64).

27. P. Sollers, La divine comédie, Paris, Desclée de Brouwer, 2000. Signalons que Dante ne devient prochain dans cette exégèse «à bâtons rompus» que par la vertu d’une singulière mise en écho de son œuvre avec celles de Rimbaud, de Proust, de Heidegger, de Bataille et de bien d’autres!

28. Il faut lire les textes fictionnels de Gombrowicz pour dégager la manière dont il a exploré ces questions, ce que je tenterai de faire dans les chapitres suivants.

 

.."Jeu, stratégie, passion (de l’entre-deux)" est le premier chapitre de Portrait de l'agoniste: Gombrowicz (Liber, Montréal, 2003). Il est reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'éditeur.


[© Liber, Montréal, Canada, 2003; isbn 2-89578-036-6]

[Dépôt légal: 3e trimestre 2003; Bibliothèque nationale du Québec]

 

Design downloaded from free website templates.